Kyle Bylin : dans un élan désespéré pour préserver les normes culturelles et sociales en vigueur ou d’éventuels dégâts à l’encontre de l’institution sociale actuelle, l’industrie du disque traditionelle est entrée en guerre contre une multitude d’ennemis, du phonographe à l’autopiano en passant par la copie privée, pleurnichant que ces nouvelles technologies allaient tuer la musique pour de bon.
Steve Knopper : Je crois bien que les jeux sont faits. L’industrie a loupé sa chance lorsqu’elle a échoué à signer un accord avec le Napster des débuts, en 1999-2000. Je pense vraiment qu’un tel accord aurait retenu les dizaines de millions de fans de Napster, et aurait transformé une bonne partie d’entre eux en acheteurs, ce qui aurait éliminé une part non négligeable de la demande envers sites de partage de fichiers post-Napster, de Kazaa à BitTorrent en passant par The Pirate Bay. Ceci dit, je pense que les majors devraient davantage avoir envie d’innover. Ok, en Europe elles ont ouvert leurs catalogues à Spotify, mais aux Etat-Unis, elles ont conclu qu’il n’y avait pas de revenus à espérer, et donc on ignore quand le service sera lancé. Pour moi, les labels devraient
inverser la tendance au plus vite, en essayant Spotify et tout un tas d’autres choses, signer des artistes comme Radiohead, NIN, Palmer, The Pixies etc., travailler avec Topspin et d’autres boites, faire signer aux artistes des contrats plus souples voire leur donner un rôle exécutif en leur sein afin de secouer l’ordre établi et de créer de la valeur différemment.
Warner s’y est essayé (voir “Fortune’s Fool” de Fred Goodman), mais si vous regardez leurs initiatives dans le détail, des contrats 360° aux sonneries de téléphone, ils sont restés très traditionnels et ancrés dans le contexte du business d’antan. Le scénario le plus probable est que le business du live va continuer à prospérer (malgré les problèmes de cet été) et que les labels vont fusionner avec des boites de merch, des tourneurs et/ou des agences de management pour accroître le modèle de deals 360° au sein de l’industrie. Et puis, sans doute, le nouveau boss sera le même qu’avant.
KB: On entend souvent l’argument selon lequel ces révolutionnaires seraient de toutes façons incapables de créer davantage de changement que l’industrie du disque ne peut l’imaginer. De même, ils seront “incapables prédire correctement l’impact des ramifications éventuelles car il ont une inclination à surestimer la valeur du nouveau système et parce qu’ils leur manque la capacité à trouver d’autres usages pour les outils mis en oeuvre.
SK : Pour moi, ces nouvelles technologies existent déjà : le mp3, le partage de fichiers, Napster, YouTube, etc. Tout le reste passe pour une secousse secondaire. Mais ce qui est sûr c’est que les réseaux sociaux ont le potentiel de modifier le modèle, tout comme la position dominante de Google sur le marché des médias, et les voies émergentes pour gagner de l’argent par la publicité sur internet, la vidéo etc. Tous ces élements réunis semblent mûrs pour être expérimentés et pour que l’on prenne des riques.
KB : Les artistes, qu’ils appartiennent à l’ancienne ou à la nouvelle génération, partagent eux aussi cette dichotomie vis-à-vis les nouvelles technologies et leur volonté de les intégrer à leur carrière.
SK : Je ne suis pas sûr que cela soit le rôle de l’artiste. Un artiste doit faire de la musique. S’il peut en plus créer un nouveau model pour vivre de sa musique, tant mieux pour lui. J’admire Radiohead, Amanda Palmer, Josh Freese, Nine Inch Nails etc, mais je n’en respecte pas moins la musique de M.I.A., Taylor Swift ou Eminem parce qu’ils ont décidé de la jouer à l’ancienne. Malgré la révolution qu’a été internet depuis 10 ans, la triste vérité est que signer avec une major et utiliser ses contacts pour percer à la radio et faire un tube est toujours la meilleure façon de passer du statut de parfait inconnu à celui de superstar de la musique. Cela va changer, et les artistes s’y feront, mais je ne pense pas qu’il soit obligatoire qu’un artiste soit la tête de proue de ce changement.
Dans le contexte de l’industrie du disque, le boulot d’un artiste, c’est de faire de la bonne musique. Si en plus c’est un visionnaire comme NIN ou Radiohead en matière de technologie ou de marketing en ligne, c’est du bonus. Mais ce n’est pas obligatoire.
Moi ça me va si Eminem continue à s’accrocher à son contrat chez Universal jusqu’à sa mort ou celle de l’industrie toute entière.Love The Way you Lie est une chanson géniale, et en soi, California Gurls (le tube estival de Katy Perry, ndt) aussi. Bien sûr, les Beatles et d’autres ont mis le concept d’album en avant dans les années 60, ce qui a participé à faire changer le business, passant de la vente de singles à la vente d’albums, un changement révolutionnaire autant que profitable à l’époque. Mais un grand nombre d’artiste de l’époque a continué à faire de très bons singles (cf. la Motown, Stax etc) et je suis ravi qu’ils aient fait ça plutot que de se transformer en ingénieurs ou en “artistes à albums” (ceci dit : youpi pour le What’s Going On de Marvin Gaye!)
KB : Richard Florida formule la réflexion suivante dans son ouvrage The Great Reset : “Pour chaque institution qui a échoué, pour chaque business model qui a survécu à son inutilité, d’autres, plus neufs et meilleurs se sont engouffrés dans la faille. Les périodes de crises passées ontdonné lieu à de nouvelles ères de grande ingéniosité et d’inventivité.” Il avance l’arguement selon lequel les crises (comme celle que traverse l’industrie du disque) “ont existé à des moments où de nouvelles technologies et de nouveaux business models ont été forgés, et elles s’inscrivent également dans des époques où sont nés de nouveaux modèles économiques et sociaux ainsi que de nouveaux modes de vie et manières de travailler”.
SK : Je crois que l’industrie du disque se remet à croître par un moyen plutôt ancien : les tournées. C’est ce que montrent les exemples les plus révolutionnaires en matière de distribution musicale : Radiohead, NIN, Amanda Palmer etc… (Pardonnez-moi de faire à chaque fois référence aux mêmes exemples, mais je suis fatigué!). Ou du moins en trouvant un moyen d’agréger les revenus générés par les tournées, le merchandising et autres, avec la musique enregistrée et les téléchargements. Des outils comme Spotify, Rhapsody ou le service de cloud qu’Apple serait en train de développer en ce moment finiront bien par arriver au secours du model de la musique enregistrée, mais quand cela arrivera et si cela arrive, ce sera du bonus.
Pour l’heure il faut que les artistes se muent en bêtes de scène.
A mon avis, les problèmes qu’on a connu cet été sont une secousse passagère pour l’industrie du disque, et il n’existe pas de réel bouleversement technologique dans ce secteur, StubHub mis à part pour ce qui est du marché de la revente, ce qui fait référence à une source de revenu additionnelle plutôt qu’à une baisse des revenus primaires. La musique live restera donc une vache à lait, du moins pour un grand nombre d’artistes, à eux de trouver comment utiliser cela à leur avantage économique.
KB : Dans son livre, Florida dit que les “Great Resets” (qu’on pourrait traduire par “les grandes remises à zéro”) sont “des transformations larges et fondamentales de l’ordre social et économique et qu’ils concernent bien plus que des événements purement économiques et financiers. Un vrai “reset” ne fait pas que transformer note manière d’innover et de produire mais introduit un nouvel environnement économique.”. Il affirme également qu’un autre point capital est “leur manière d’amener des changements de consommation qui nourissent les industries en plein essor.
SK : Je ferai à nouveau référence à l grande revise à zéro de l’industrie du disque en 1999 ou 2000. Aujourd’hui, il s’agit plus de ramasser les morceaux et de trouver comment sauver ce qu’il reste. Il en va de même dans le secteur de la presse.
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Article initialement publié sur Hypebot.com
Crédits photos FlickR CC : patrick h lauke ; wlodi ; hoong wei long
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Kyle Bylin : Dans Cognitive Surplus, Clay Shirky écrit : “Lorsqu’une technologie nouvelle apparaît, il faut qu’elle trouve sa place dans la société d’une manière ou d’une autre”. Il existe une dichotomie certaine entre l’industrie du disque traditionnelle et le business model du futur dans leur attitude vis-à-vis des avancées technologies et de leur vonlonté de l’intégrer en leur sein.
C’est peu de le dire, mais l’industrie du disque traditionnelle n’est pas vraiment fan des petits malins qui se la jouent radicaux et qui essaient de révolutionner le business model que celle-ci a passé des décennies à perfectionner, améliorer et protéger.
D’autre part, le business model du futur incite les entreprises et les consommateurs à lâcher les vieux modèles et à mettre autant de bordel que possible en adoptant les nouvelles technologies, comme le dit Shirky.
SK: Je pense qu’il vous faudrait définir “le business musical du futur”. Faites-vous référence à ce qu’ont fait Radiohead, Topspin, Amanda Palmer, Warner Music Group, les sites de vente en ligne comme iTunes ou Amazon ou encore la vague coalition mettant la musique en accès libre et incarnée par MySpace, Google, Spotify etc. voire les sites de partage de fichiers ?
L’industrie du disque traditionnelle adopte actuellement certaines de ces initiatives et arrive même à créer de la valeur grâce à des idées comme Vevo, ou en faisant jouer la concurrence entre iTunes et Amazon, ce qui entraine des prix plus bas pour les consommateurs de musique en ligne.
Globalement, je dirais que l’industrie du disque se porterait bien mieux si elle avait à sa tête un visionnaire high-tech, quelqu’un qui comprenne que l’ancien modèle est mort et que fabriquer des tubes à la Jimmy Iovine ne va pas permettre au modèle de rester à flots pour les 30 années à venir.
KB : Pour Shirky, le grand paradoxe tient au fait que “ceux qui se battent pour résoudre un problème spécifique font aussi tout leur possible pour que ce problème demeure, afin que la solution qu’ils proposent reste viable”. Ainsi, il avance qu’ “on ne peur pas demander à ceux qui dirigent les systèmes traditionnels de voir le bon dans les nouvelles technologies. Ceux qui s’emploient à garder le système actuel sur pieds ont du mal, dans l’ensemble, à considérer qu’un élément qui’ils jugent perturbateur puisse avoir la moindre valeur.”
SK : Depuis Napster, les gros bonnets de l’industrie, et en particulier Doug Morris de chez Universal, nous disent : “On ne pouvait pas anticiper les problèmes, nous ne sommes pas ingénieurs”. Dans mon livre en revanche j’avance qu’un grand nombre d’employés du secteur (les Robin Betchels et autres Erin Yasgars) ont compris qu’il y avait des oppportunités à saisir en travaillant avec Napster et en développant le marketing musical en ligne. Ce sont eux qui criaient à Doug Morris et consorts de faire attention.
“Genre, ce serait bien que vous écoutiez vos propres employés, non ?”
De manière plus générale, je crois que je préfère laisser la parole à Andrew S. Grove et à son ouvrage Only The Paranoid Survive (Seuls les paranoïaques survivent). Il y expose les points d’inflexion stratégique (les moments où une industrie fait face à un nouveau défi technologique et doit s’y adapter ou péricliter) et illustre son propos de cas concrets, distingant ceux qui les ont bousillés (par exemple Apple dans les années 90, avant que Steve Jobs ne reprenne le groupe en main pour développer l’iPod et l’iPhone), et ceux qui s’en sont servis pour croître encore plus (c’est à dire Intel, sa propre entreprise, et à mon avis l’industrie du cinéma avec la VHS).
Pour moi, quand les patrons de l’industrie du disque disent “on n’a rien vu venir”, c’est une excuse bidon.
Au final c’est pour ça que les équipes dirigeantes des labels d’aujourd’hui (les mêmes qui avaient “tué” le point d’inflexion stratégique à l’époque de Napster), ne risquent pas de se transformer en ingénieurs ou même en dirigeants visionnaires à l’origine d’un nouveau business model.
KB: Un écosystème numérique nouveau et plus désordonné est en train d’émeger, nourri en premier lieu par un public dispersé aux quatre coins du web et qui a découvert avec enthousiasme des artistes dont il ne soupçonnaient même pas l’existence.
SK : Je ne pense pas que l’industrie du disque ne fait pas entrave aux nouvelles technologies de manière aussi agressive qu’il y a 10 ou même 5 ans, à l’époque où sa seule stratégie web était d’attaquer tout le monde en justice et de coller des DRM sur tous les CD et titres numériques.
Aujourd’hui, le problème tient davantage à un manque d’innovation ou d’anticipation.
Les labels sont d’accord pour autoriser des services comme Spotify ou MOG à utiliser leurs catalogues, mais seulement contre (forte) rétribution (qu’ils ne partagent pas avec les artistes), mais ils refusent d’être proactifs et d’essayer de nouvelles façons de faire (sauf si vous considérez les deals 360° qu’ils font signer). EMI a essayé pendant un moment, lorsqu’ils ont enbauché Corey Andrejka et Douglas Merrell mais tout ça est parti en sucette quand les caisses de l’entreprise se retrouvées à sec.
J’aimerais bien que d’autres labels fassent pareil : embaucher des visionnaires et leur donner toute lattitude pour mettre en oeuvre de nouvelles idées et même échouer sur certaines. Les majors sont pour la plupart toujours dirigées par des mecs de la vieille école qui étaient déjà aux commandes au moment des grosses erreurs commises sous l’ère Napster, de Doug Morris à Edgar Bronfman en passant par Howard Stringer et Rolf Schmidt-Holtz.
Article initialement publié sur Hypebot.com et traduit par Loïc Dumoulin-Richet
Crédits photos : CC flickr Kumar Appaiah & Mykl Roventine & Rust.bucket
]]>À travers les interviews en vidéo de vingt professionnels de tous horizons numériques, il propose un panorama représentatif. Des “anciens” aux petits jeunots, ils décrivent l’impact de l’Internet sur le métier, la réalité de leur travail, le fossé qui les sépare parfois du reste de la rédaction, et donnent leur vision du futur.
La soucoupe soutient Jérémy dans son projet.
Nous ne pouvons que vous recommander de prendre le temps de découvrir ce webdocumentaire à cette adresse:
En bon OS du web multitâches(ron), Jérémy blogue également sur Regardailleurs
Photo CC Flickr Dunechaser
]]>Un mash-up d’interviews de “prophètes du web” made in BBC.
C’est drôle, rythmé, et ça fait partie d’un concours mis en ligne sur le blog Digital Revolution : tout est (presque) dit.
Le concours consiste en la réalisation d’une bande-annonce pour des programmes de la BBC, avec comme matériau de base les extraits mis à disposition par la chaîne. Le gagnant verra son oeuvre propulsée sur la page d’accueil d’un des sites les plus fréquentés du Royaume-Uni.
Cheers.
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